dimanche 24 janvier 2016

Naissance


Essayez d'imaginer un monde où le vélo n'existerait pas. Un monde où votre seul choix serait de vous déplacer soit à pied, soit par l'énergie d'un moteur. Ensuite imaginez quelle révélation ça serait si quelqu'un arrivait avec l'idée de mettre deux roues alignées sur un cadre, mues par l'effort humain. Cette personne serait sûrement considérée comme un génie, et deviendrait aussi très riche!

Heureusement le vélo est là autour de nous depuis longtemps. Et c'est une invention à laquelle nous devons rendre hommage. Car pour beaucoup d'entre-nous, notre vie ne serait pas la même sans ces nostalgiques souvenirs d'enfance de posséder un vélo.

Mettre un bout de carton attaché au cadre avec une pince à linge, pour qu'en frottant contre les rayons, celui-ci produise un son, qui, pour nous seulement, évoque le vrombissement d'une moto surpuissante.

Se remémorer ces longues soirées d'été où je criais du bas de l'escalier "Papa, Maman, je reviens, je vais faire un tour de vélo". Et se laisser aller à rouler sans but précis sur les routes et chemins autour de la maison pendant des heures infinies, en changeant de direction juste pour le plaisir de tourner le guidon et de sentir le vent couler sur mes joues d'une façon différente.

Traîner à n'en plus finir, explorer le moindre recoin autorisé ( ou que je m'autorisais...), et rentrer sans lumière puisque je connaissais le moindre virage par coeur. Laisser le vélo au garage en lui promettant de revenir très vite, sans doute dès demain. L' oublier parfois dehors, et se faire engueuler.

Partir à la chasse des tas de terre des travaux des cantoniers du coin pour créer des sauts que les copains n'osaient pas prendre, et qui pour mon grand désespoir étaient détruits dans la semaine ; ou des arbres qui feraient la meilleure cabane.

Ces courses dans le jardin avec mon petit frère Antoine jusqu'à la nuit tombée, slalomant entres les rangs de salades, le cerisier, les queues des chiens assoupis et le billard. Ces finales et superfinales de 40 tours  où nous tournions comme des hamsters dans une cage, couverts de sueur et de la poussière de ces fausses chutes que nous créions pour avoir le plaisir incommensurable de faire une remontée fantastique. Ces "doubles-trajectoires", ces "suçages de roues" et ces traces de freinage noires sur la terrasse qui nous ont values quelques mauvais quarts d'heure.

Faire les 500m qui nous séparaient de l'école matin et soir, en ayant souvent été les deux seuls gamins à avoir eu cette chance. Ne pas les attacher.

Descendre sans freiner cette "grosse descente" en s'aggripant de toutes ses forces aux poignées, et être heureux d'être arrivé en bas en un seul morceau.

Ne pas avoir eu l'obligation comme c'est le cas aujourd'hui de porter un casque, au risque de croire que nos géniteurs étaient des parents indignes.

Avoir pu traverser tous les jours l'unique passage piéton, seuls, sans "dame-de-la-mairie-avec-son-gilet-jaune-et-son-petit-panneau-qui-est-là-pour-assurer-la-sécurité-des-enfants" au risque d'ôter de l'esprit de ces mêmes enfants la présence d'un danger potentiel. Au risque de commencer -déjà- à assister ces adultes de demain. Au risque, toujours, de les empêcher de penser, grandir et réfléchir par eux-même.

Avoir pu connaître une époque où le "principe de précaution" ne gouvernait pas la moitié de nos comportements, comme c'est je trouve trop souvent le cas aujourd'hui.

Je suis prêt à parier qu'il n'y a pas qu'à moi que ces souvenirs évoquent une tendre  partie de notre jeunesse.

C'est en tout cas pour moi, aussi loin que je me souvienne, dans ces traces de graisse sur mes mollets, dans ces rayons qui fendent l'air au soleil couchant, dans ces chiens qui m'ont fait peur, dans ces gravillons que j'ai vu de trop près, dans ces roues arrières maîtrisées devant la pharmacie, dans ces rustines que j'ai collées, dans ces explorations sans cesse renouvellées que se cristallise aujourd'hui la naissance de mon sentiment de liberté.

Et je crois pouvoir dire sans trop me tromper que le VTT jaune de marque "ROD" écrit en rose sur le tube diagonal que j'ai reçu à un Noël autour de mes 10 ans, est sans aucun doute le cadeau qui m'a le plus marqué et qui a influencé ma vie d'une manière que je n'aurais jamais soupçonné à l'époque et qui fais ce que je suis aujourd'hui.


3 commentaires:

  1. Magnifique on suit ton périple avec grand plaisir et tes textes nous donnent le sentiment de participer à ce voyage . Bonne continuation. Bizzzz
    Cathy

    RépondreSupprimer
  2. Magnifique on suit ton périple avec grand plaisir et tes textes nous donnent le sentiment de participer à ce voyage . Bonne continuation. Bizzzz
    Cathy

    RépondreSupprimer
  3. Absolument GE-NI-AL cet article ! Tu m'as arraché un paquet de sourires, que de souvenirs... La butte à côté du terrain de foot qui a duré un mois, avec Ronan et son cousin Steeven, que je n'osais pas descendre jusqu'à ce que tu m'engueules à moitié pour que je le fasse, ces wheelings les soirs d'été devant le pharmacien qui se plantait dans son salon avec sa femme simplement pour te voir passer et repasser avec cet équilibre si parfait, ce retour de Clisson en mode CLM pour taper les 3h, Gros Cousin qui s'explose à la descente de la table de la salle des Mauves, cette gamelle que je m'étais prise sur cet éphémère terrain de BMX et le retour à la maison le genou en sang pour se faire engueuler par Maman, Vallet et Yvan Lapraz, toutes ces superfinales à deux, le double passage du cerisier et de la bonbonne de gaz, ah ah ah mais oui tout est dit, t'as tellement tout retranscrit !! =) Merci pour cet article bro. Tous ces souvenirs d'enfance me manquent énormément...

    RépondreSupprimer