mercredi 30 décembre 2015

Le regard de la vie



Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n'écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l'habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d'émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu'il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n'a fui les conseils sensés. 

Pablo Neruda - Poète chilien



mercredi 23 décembre 2015

Lacs




J'ai donc quitté Géraldine. Nous nous sommes quittés d'un commun accord, elle était plus d'accord que moi (que ceux qui reconnaissent la référence de cette phrase se fassent connaître !).
Pour couper court à toute fausse idée dont j'ai pu avoir retour, non je n'ai pas rencontré l'amour !
C'était juste une manière originale de faire un nouvel article en s'appuyant sur le nom de la commune, en tout cas moi je m'y suis bien amusé.
De toute évidence, si amour il y avait eu, sa place n'aurait pas été ici et encore moins par électronique.
Non une jolie lettre écrite à l'encre, assurément :)

Pffff, de courtes étapes se sont enchaînées entre Géraldine, Fairlie et Tekapo. La faute à un temps capricieux qui met l'organisme à rude épreuve. Pendant 10/15 jours, ce sont beaucoup d'averses, d'orages et surtout un vent de folie qui m'auront accompagnés. L'impression d'être dans une machine à laver 6h par jour, ce bourdonnement incessant, cette incapacité à avancer plus vite, ce contrôle permanent pour ne pas finir la tête dans le fossé ou sous les roues d'un camion. Car oui bien évidemment, je ne me plaindrais pas si je l'avais eu dans le dos.

MAis non, il a joué. Tantôt de côté, tantôt de face. Et quand je regarde la carte et que la ligne rouge représentant la route dessine un long trait rectiligne pendant 30km, sans le moindre virage, je sais que je vais ramasser.


Débute alors l'école de la patience. Se fixer des repères proches et tangibles. Ne pas regarder au loin.
Laisser divaguer son esprit, pour tuer l'ennui ou la folie. Pour tromper son ardeur à la monotonie. Pour libérer son chemin intérieur, qui lui est exempt des caprices d'Eole. Se dire qu'en Patagonie, c'est sur des milliers de kilomètres qu'il faudra endurer ça.
Et relativiser, en tout cas essayer.

Au pylône au bout de la ligne droite, un Werther's Original.
Au virage à gauche avant la montée, un quartier de clémentine.



« A-t-on déjà vu un nomade pressé ? Les nomades vont à petits pas. Pas un seul horizon qui n’ait capitulé devant leur acharnement », constate l’écrivain aventurier Sylvain Tesson dans son Petit traité sur l’immensité du monde

Et puis il y a les petits rituels, les petites choses que je suis le seul à voir ou à entendre, les petits signes amicaux des gens en campervans qui me doublent.

Et puis paf d'un coup, l'horizon change brusquement, les montagnes apparaissent au loin. On roule dans des cartes postales, les nuages pressent le pas, le soleil fait moins le timide, le vent accuse le coup, la route s'aplanit, les jambes tournent plus vite, les idées cessent, les yeux s'ouvrent encore plus.

Car oui putain, autant j'en ai bien chié sur la selle pendant des dizaines et des dizaines d'heures autant je crois que ça en valait la peine.

La récompense n'est-elle pas à la mesure de la tâche qu'il nous a été donné d'accomplir ?

J'ai donc atteint le Lake Tekapo et ses panoramas grandioses, filé à toute allure dans les descentes parsemées de lupins arctiques et de sommets enneigés, déjeuné à la terrasse du Lake Pukaki et de son bleu électrique, dormi sous la bienveillance du Mount Cook (3724m), toit de la NZ, à Mueller Hut, fait des siestes merveilleuses sous le soleil des plaines du McKenzie.










J'ai aussi, encore et toujours, rencontré tout un tas de personnes. Des cyclistes, des campervans, des jeunes, des vieux, des asiatiques ( vous, je vous concote un article), des chiens, des chats, des lapins et des lièvres, des kéas qui en voulaient à mes chaussures, des coccinelles facétieuses, des sandflies ennuyeuses, et des moutons pas très folichons.




J'ai aussi et surtout, sans en avoir eu l'intention, pu rouler dans "ma" carte postale. J'ai roulé dans la photo qui est en présentation de ce blog, tout en haut. Elle m'avait fait rêver, je n'avais pas idée d'où elle se trouvait. 

Et puis sur les rives du Lake Pukaki, en direction de Mount Cook Village, comme un air de déjà-vu, une certaine familiarité.
Sagacité.
"Oh putain non...dis-moi pas que...? Et si mon vieux, et si."


Parfois je reçois des cadeaux : un sucre d'orge du facteur au milieu de nul part, une bière d'un couple de canadiens, un morceau de tarte...




J'ai environ 3000 km au compteur, je fais quelques jours de pause à Wanaka pour les fêtes. C'est un Annecy en miniature, la similitude est frappante. C'est très agréable en tout cas. 
Le soleil est revenu, j'ai reçu du Comté de mon pote Laurent. "C'est pas pire", comme il dit.





Par contre, ne faites jamais la sieste au soleil avec un matelas gonflable, ça aime pas ça, mais alors pas du tout....




Et puis en petit bonus, quand je mets le retardateur pour les photos.
Parfois ça marche :

D'autres moins ;-)



Joyeux Noël à tous. 

Rebond


Pour faire suite à l'article précédent.

Réenchanter le réel, ça impose de réinventer le silence, on ne connaît plus le silence dans nos sociétés ?

C’est un des points essentiels pour moi, je fais l’éloge du silence. Contrairement à ce qu’on croit, la poésie c’est cette aptitude à restaurer le silence en nous, à rejoindre la nappe phréatique de silence qui est en nous. Nous sommes dans un bruit effarant qui nous fait perdre le réel, qui nous bouche les oreilles. Nous sommes assaillis, nous ne sommes plus capables de ce retour au désert, de ce silence qui nous fait revivre. On réentend l’essentiel, c’est-à-dire le battement du cœur, on se réentend humains dans la fragilité. Le battement du cœur c’est la fragilité, c’est le sentiment de l’éphémère et en même temps c’est l’élan du désir, c’est la vie palpitante.
Dans le silence on retrouve ces repères fondamentaux, et la poésie est dans la langue ce qui institue le silence. On croit toujours que ce sont les mots, mais non, Claudel le disait :
« Le poème n’est pas dans ces mots que je plante comme des clous sur la page, mais dans le silence qui respire entre les lignes. »
Le poème c’est ce qui réintroduit chez nous notre part de silence, qui nous la fait rééprouver et c’est salvateur. Contre le bruit du monde, nous écoutons un poème et quelque chose vibre. Autour du poème il y a du blanc. Ce blanc, sa caisse de résonnance, ce silence, c’est ce qui nous permet de réinvestir notre conscience dans sa plénitude. C’est de nous réinvestir vivants, tout d’un coup. Nous ne sommes plus dans l’injonction, dans le pas d’après, dans la parole à dire. Tout à coup il y a une latence, et c’est cette latence dont on est privés, et qui nous ferait pourtant pleinement présent au monde.

Extrait de « La poésie sauvera le monde », Sur le rebord du monde, RSR, Jean-Pierre SIMEON

De plein fouet



Il y a de ces matins où l'insouciance est de mise. Je roule vers l'horizon, tout simplement. Je n'attends rien de spécial, le mouvement se suffit à lui-même.

C'était un des ces matins là.
Un épisode de "Les pieds sur terre" en écoute.
Le titre " Je voudrais pas mourir avant...".

 Vous pouvez la réécouter ici : http://www.franceculture.fr/emission-les-pieds-sur-terre-je-voudrais-pas-mourir-avant-2015-12-15

L'introduction commençait ainsi :

" Dans une des pièces de Jean-Luc Lagare, sortie en 1990, le personnage principal de l'histoire est malade. Il sait qu'il va mourir bientôt, avant ses 40 ans. Et il raconte qu'un souvenir ne cesse de lui revenir étrangement en tête. Une réminiscence d'un été quand il était jeune et en bonne santé. C'était dans le Sud, il faisait une randonnée et il s'était perdu dans la montagne. La nuit commençait à tomber. Heureusement, il avait fini par retrouver la voie ferrée qui serpentait dans la région et qui passait tout près de la maison où il était en vacances.
Alors il avait suivi le chemin de fer et à un moment il avait débouché sur un viaduc immense qui dominait une vallée. Il était seul dans la nuit, sous la lune, et à ce moment là sur le pont, en pleine nature, il avait eu envie de crier. Un grand et beau cri, long, joyeux et qui résonnerait dans toute la vallée. Il avait eu envie de ce bonheur physique, hurler une bonne fois à pleins poumons.
Mais il ne l'avait pas fait, il n'avait pas osé, il s'était remis en route avec juste le bruit de ses pas sur le gravier.
Et des années plus tard, sur son lit, un peu avant de mourir, c'est cette image là, dérisoire et essentielle qui lui revient. C'est cet oubli là qu'il regrette.
Aujourd'hui dans Les pieds sur Terre c'est une émission sur ce qu'on oublie de vivre, sur ce que l'on ne s'autorise pas, que l'on remet toujours à plus tard et qui pourtant est peut-être le plus important.
Mais ça souvent on le comprend à la fin "

S'ensuit alors un micro-trottoir ou le journaliste interroge des passants sur ce qu'ils aimeraient faire avant de mourir.
Une vieille dame témoigne, il se trouve qu'elle en train de lire un livre de Boris Vian, dont le titre de l'émission rend hommage à une de ses chansons "Je voudrais pas crever".
Puis elle commence à en faire la lecture, à égréner les vers...




Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir gouté
La saveur de la mort...


D'un coup d'un seul, j'ai alors ressenti une vive émotion. Sourde et profonde, qui a jailli en moi sans qu'elle ne prévienne, sans que je ne puisse la contenir. Une de ces sensations rares, que l'on éprouve parfois, sans savoir dire pourquoi. Une de celles qui vous chavirent le coeur, qui vous embuent les yeux et vous donnent des frissons. Car on ne l'attendait pas.
Je me suis alors arrêté sur le bord de la route, car l'horizon lointain était devenu trouble.
Puis le flot est passé, le tumulte a cessé.
Je me suis relevé, et de nouveau j'ai roulé.

jeudi 17 décembre 2015





Allégresse

" Tant d'étoiles, rieuses et silencieuses
Veillent sur mes petits yeux malicieux.
Ephémères et légères, tout là-haut parmi les cieux,
Danseuses fragiles aux arabesques ambitieuses.
Immensités sans fin
Dont je suis le témoin.
Sous les songes d'un soir d'été
Pour la beauté d'une Voie Lactée."

J.P.

Lake Tekapo, nuit du 17 au 18 Décembre 2015.