Il y a de ces matins où l'insouciance est de mise. Je roule vers l'horizon, tout simplement. Je n'attends rien de spécial, le mouvement se suffit à lui-même.
C'était un des ces matins là.
Un épisode de "Les pieds sur terre" en écoute.
Le titre " Je voudrais pas mourir avant...".
Vous pouvez la réécouter ici :
http://www.franceculture.fr/emission-les-pieds-sur-terre-je-voudrais-pas-mourir-avant-2015-12-15
L'introduction commençait ainsi :
" Dans une des pièces de Jean-Luc Lagare, sortie en 1990, le personnage principal de l'histoire est malade. Il sait qu'il va mourir bientôt, avant ses 40 ans. Et il raconte qu'un souvenir ne cesse de lui revenir étrangement en tête. Une réminiscence d'un été quand il était jeune et en bonne santé. C'était dans le Sud, il faisait une randonnée et il s'était perdu dans la montagne. La nuit commençait à tomber. Heureusement, il avait fini par retrouver la voie ferrée qui serpentait dans la région et qui passait tout près de la maison où il était en vacances.
Alors il avait suivi le chemin de fer et à un moment il avait débouché sur un viaduc immense qui dominait une vallée. Il était seul dans la nuit, sous la lune, et à ce moment là sur le pont, en pleine nature, il avait eu envie de crier. Un grand et beau cri, long, joyeux et qui résonnerait dans toute la vallée. Il avait eu envie de ce bonheur physique, hurler une bonne fois à pleins poumons.
Mais il ne l'avait pas fait, il n'avait pas osé, il s'était remis en route avec juste le bruit de ses pas sur le gravier.
Et des années plus tard, sur son lit, un peu avant de mourir, c'est cette image là, dérisoire et essentielle qui lui revient. C'est cet oubli là qu'il regrette.
Aujourd'hui dans Les pieds sur Terre c'est une émission sur ce qu'on oublie de vivre, sur ce que l'on ne s'autorise pas, que l'on remet toujours à plus tard et qui pourtant est peut-être le plus important.
Mais ça souvent on le comprend à la fin "
S'ensuit alors un micro-trottoir ou le journaliste interroge des passants sur ce qu'ils aimeraient faire avant de mourir.
Une vieille dame témoigne, il se trouve qu'elle en train de lire un livre de Boris Vian, dont le titre de l'émission rend hommage à une de ses chansons "Je voudrais pas crever".
Puis elle commence à en faire la lecture, à égréner les vers...
Je voudrais pas creverAvant d'avoir connuLes chiens noirs du MexiqueQui dorment sans rêverLes singes à cul nuDévoreurs de tropiquesLes araignées d'argentAu nid truffé de bullesJe voudrais pas creverSans savoir si la luneSous son faux air de thuneA un coté pointuSi le soleil est froidSi les quatre saisonsNe sont vraiment que quatreSans avoir essayéDe porter une robeSur les grands boulevardsSans avoir regardéDans un regard d'égoutSans avoir mis mon zobeDans des coinstots bizarresJe voudrais pas finirSans connaître la lèpreOu les sept maladiesQu'on attrape là-basLe bon ni le mauvaisNe me feraient de peineSi si si je savaisQue j'en aurai l'étrenneEt il y a z aussiTout ce que je connaisTout ce que j'apprécieQue je sais qui me plaîtLe fond vert de la merOù valsent les brins d'alguesSur le sable onduléL'herbe grillée de juinLa terre qui craquelleL'odeur des conifèresEt les baisers de celleQue ceci que celaLa belle que voilàMon Ourson, l'UrsulaJe voudrais pas creverAvant d'avoir uséSa bouche avec ma boucheSon corps avec mes mainsLe reste avec mes yeuxJ'en dis pas plus faut bienRester révérencieuxJe voudrais pas mourirSans qu'on ait inventéLes roses éternellesLa journée de deux heuresLa mer à la montagneLa montagne à la merLa fin de la douleurLes journaux en couleurTous les enfants contentsEt tant de trucs encoreQui dorment dans les crânesDes géniaux ingénieursDes jardiniers joviauxDes soucieux socialistesDes urbains urbanistesEt des pensifs penseursTant de choses à voirA voir et à z-entendreTant de temps à attendreA chercher dans le noirEt moi je vois la finQui grouille et qui s'amèneAvec sa gueule mocheEt qui m'ouvre ses brasDe grenouille bancrocheJe voudrais pas creverNon monsieur non madameAvant d'avoir tâtéLe gout qui me tourmenteLe gout qu'est le plus fortJe voudrais pas creverAvant d'avoir goutéLa saveur de la mort...
D'un coup d'un seul, j'ai alors ressenti une vive émotion. Sourde et profonde, qui a jailli en moi sans qu'elle ne prévienne, sans que je ne puisse la contenir. Une de ces sensations rares, que l'on éprouve parfois, sans savoir dire pourquoi. Une de celles qui vous chavirent le coeur, qui vous embuent les yeux et vous donnent des frissons. Car on ne l'attendait pas.Je me suis alors arrêté sur le bord de la route, car l'horizon lointain était devenu trouble.Puis le flot est passé, le tumulte a cessé.Je me suis relevé, et de nouveau j'ai roulé.
J'aime bien, le souvenir de cet homme, et les regrets que l'on pourra avoir.
RépondreSupprimerBelle prose, qui m'a fait voyager moi aussi, dans le passé, le futur, le conditionnel... Ces moments où tu aimerais faire pause, prendre du recul, pour reprendre ensuite une vie vécue pleinement...
RépondreSupprimerBelle prose, qui m'a fait voyager moi aussi, dans le passé, le futur, le conditionnel... Ces moments où tu aimerais faire pause, prendre du recul, pour reprendre ensuite une vie vécue pleinement...
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