mercredi 23 décembre 2015

De plein fouet



Il y a de ces matins où l'insouciance est de mise. Je roule vers l'horizon, tout simplement. Je n'attends rien de spécial, le mouvement se suffit à lui-même.

C'était un des ces matins là.
Un épisode de "Les pieds sur terre" en écoute.
Le titre " Je voudrais pas mourir avant...".

 Vous pouvez la réécouter ici : http://www.franceculture.fr/emission-les-pieds-sur-terre-je-voudrais-pas-mourir-avant-2015-12-15

L'introduction commençait ainsi :

" Dans une des pièces de Jean-Luc Lagare, sortie en 1990, le personnage principal de l'histoire est malade. Il sait qu'il va mourir bientôt, avant ses 40 ans. Et il raconte qu'un souvenir ne cesse de lui revenir étrangement en tête. Une réminiscence d'un été quand il était jeune et en bonne santé. C'était dans le Sud, il faisait une randonnée et il s'était perdu dans la montagne. La nuit commençait à tomber. Heureusement, il avait fini par retrouver la voie ferrée qui serpentait dans la région et qui passait tout près de la maison où il était en vacances.
Alors il avait suivi le chemin de fer et à un moment il avait débouché sur un viaduc immense qui dominait une vallée. Il était seul dans la nuit, sous la lune, et à ce moment là sur le pont, en pleine nature, il avait eu envie de crier. Un grand et beau cri, long, joyeux et qui résonnerait dans toute la vallée. Il avait eu envie de ce bonheur physique, hurler une bonne fois à pleins poumons.
Mais il ne l'avait pas fait, il n'avait pas osé, il s'était remis en route avec juste le bruit de ses pas sur le gravier.
Et des années plus tard, sur son lit, un peu avant de mourir, c'est cette image là, dérisoire et essentielle qui lui revient. C'est cet oubli là qu'il regrette.
Aujourd'hui dans Les pieds sur Terre c'est une émission sur ce qu'on oublie de vivre, sur ce que l'on ne s'autorise pas, que l'on remet toujours à plus tard et qui pourtant est peut-être le plus important.
Mais ça souvent on le comprend à la fin "

S'ensuit alors un micro-trottoir ou le journaliste interroge des passants sur ce qu'ils aimeraient faire avant de mourir.
Une vieille dame témoigne, il se trouve qu'elle en train de lire un livre de Boris Vian, dont le titre de l'émission rend hommage à une de ses chansons "Je voudrais pas crever".
Puis elle commence à en faire la lecture, à égréner les vers...




Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir gouté
La saveur de la mort...


D'un coup d'un seul, j'ai alors ressenti une vive émotion. Sourde et profonde, qui a jailli en moi sans qu'elle ne prévienne, sans que je ne puisse la contenir. Une de ces sensations rares, que l'on éprouve parfois, sans savoir dire pourquoi. Une de celles qui vous chavirent le coeur, qui vous embuent les yeux et vous donnent des frissons. Car on ne l'attendait pas.
Je me suis alors arrêté sur le bord de la route, car l'horizon lointain était devenu trouble.
Puis le flot est passé, le tumulte a cessé.
Je me suis relevé, et de nouveau j'ai roulé.

3 commentaires:

  1. J'aime bien, le souvenir de cet homme, et les regrets que l'on pourra avoir.

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  2. Belle prose, qui m'a fait voyager moi aussi, dans le passé, le futur, le conditionnel... Ces moments où tu aimerais faire pause, prendre du recul, pour reprendre ensuite une vie vécue pleinement...

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  3. Belle prose, qui m'a fait voyager moi aussi, dans le passé, le futur, le conditionnel... Ces moments où tu aimerais faire pause, prendre du recul, pour reprendre ensuite une vie vécue pleinement...

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